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Par Silke Nebel, Ph. D., vice-présidente – Conservation et Science, Oiseaux Canada

 

Les changements climatiques et la perte de biodiversité sont deux menaces qui pèsent sur l’humanité et mettent son avenir en péril. On les qualifie collectivement de « double crise », car les facteurs qui les déterminent – et les solutions possibles – sont étroitement liés. Si on s’attaque à l’une sans tenir compte de l’autre, cela peut entraîner des conséquences inattendues1.

La production de bétail est un bon exemple. La production de viande bovine a, en moyenne, une empreinte environnementale beaucoup plus élevée que celle de toute autre forme de protéine. Si l’on ne considérait que les émissions de gaz à effet de serre, on pourrait conclure que la production de viande bovine devrait être totalement remplacée. Or cela aurait – dans au moins un scénario – des conséquences négatives pour la biodiversité.

Bovins de boucherie Photo : Tim Poole

Examinons le cas des grandes plaines du Canada. La prairie tempérée est un des types d’écosystème les plus menacés dans le monde, y compris dans notre pays. Sans les prairies, toutes les espèces qui sont adaptées à cet écosystème unique disparaîtraient. Les prairies ne sont pas seulement essentielles pour la biodiversité menacée, elles jouent également un rôle important dans l’atténuation des changements climatiques. Les prairies naturelles – ou ce qu’il en reste aujourd’hui – stockent de grandes quantités de carbone2. Et comme la majeure partie du carbone des prairies est stocké sous terre, il est protégé des incendies, contrairement au carbone stocké dans les forêts.

Malgré les avantages qu’elles procurent sur les plans du climat et de la biodiversité, les prairies tempérées se raréfient à un rythme alarmant : de 2014 à 2018, le labourage des prairies dans les grandes plaines a réduit leur superficie de l’équivalent de quatre terrains de football par minute en moyenne3. La perte d’habitat de prairies et de biodiversité se reflète dans les tendances des populations des oiseaux qui dépendent de ces milieux. Le Rapport sur l’état des populations d’oiseaux du Canada 2019 révèle que les effectifs des oiseaux adaptés aux prairies semi‑arides des grandes plaines d’Amérique du Nord déclinent plus rapidement que ceux de n’importe quel autre groupe aviaire. Dans le cas d’une espèce emblématique comme le Plectrophane à ventre noir, le déclin s’élève à environ 95 % de la population depuis 1970. La principale cause de ce déclin est la perte de prairies due à la conversion des terres et à la fragmentation des habitats pour l’agriculture et le développement urbain.

Photo: Pete Davidson

La principale raison de cette perte est la pression du marché pour convertir les prairies en cultures commerciales. En effet, les producteurs agricoles sont susceptibles de gagner plus d’argent en plantant du canola qu’en élevant du bétail. Les oiseaux de prairie comme le Pipit de Sprague, espèce menacée, sont heureux d’inféoder des pâturages bien gérés, mais ils ne peuvent pas vivre dans des champs de soja ou plantés d’autres légumineuses annuelles. Les oiseaux des prairies ont évolué avec le pâturage et, en tant que groupe, cette communauté a besoin d’une mosaïque d’herbes courtes, moyennes et hautes, ce qui peut être obtenu avec un pâturage bovin correctement géré. Cela signifie, en fait, que le maintien du bétail dans les prairies est l’une des meilleures protections dont nous disposons pour éviter de perdre les prairies restantes, avec leurs réserves de carbone et leur biodiversité unique, et, dès lors, que celles-ci offrent le type d’habitat dont les oiseaux des prairies ont besoin.

 

Pourrions-nous simplement oublier le bétail, restaurer les prairies et créer de très grandes zones protégées?

Les zones protégées constituent une partie importante de la solution, mais 90 % des prairies restantes au Canada sont des propriétés privées, et nous devons veiller à ce que les paysages en exploitation puissent également offrir des avantages en matière de climat et de biodiversité. L’écosystème des prairies a évolué avec de nombreux animaux herbivores indigènes, dont des millions de bisons en liberté. Et en l’absence d’herbivores pour brouter les prairies, la succession naturelle se met en place et bon nombre de ces prairies se transforment en zones arbustives ou présentent moins d’espèces végétales. Ainsi, faute de bisons, les animaux domestiques comme les bovins deviennent essentiels au maintien de la santé des prairies. Il est possible de réintroduire des bisons, ce qui a été réalisé avec succès dans les parcs nationaux des Prairies et Banff. Mais, comme les bovins, les bisons sont des ruminants, et les émissions de gaz à effet de serre font partie de leur processus de digestion. Qu’il s’agisse d’une zone protégée ou d’un paysage en exploitation, il est vital d’empêcher toute nouvelle perte de prairie indigène, car la restauration des prairies prend beaucoup de temps et est très coûteuse.

Long-billed Curlew in grassy pasture
Pipit de Sprague Photo : Daniel Arndt

 

Quelle est l’empreinte carbone d’un steak provenant de bœuf canadien nourri à l’herbe?

Tout dépend de la teneur en eau de l’herbe, de la fréquence de rotation du bétail entre les champs, du nombre de bêtes que l’éleveur a sur un seul champ, de la distance de transport du steak, etc. On mène des recherches pour tenter de répondre à cette question. Un jour, peut-être, nous pourrons apposer sur nos aliments un autocollant qui nous indiquera non seulement le nombre de calories et de vitamines C contenues dans un produit, mais aussi son empreinte carbone et son empreinte hydrique. Ce serait formidable pour éclairer nos décisions d’achat. Mais ce que nous savons aujourd’hui, c’est que le maintien de prairies intactes permet de conserver le carbone dans le sol et fournit un habitat aux oiseaux et à d’autres espèces sauvages.

 

Pour lutter contre la double crise de la perte de biodiversité et des changements climatiques, nous pouvons choisir de soutenir des systèmes de production qui maintiennent la biodiversité et atténuent les changements climatiques. Or les prairies des grandes plaines sont importantes pour les deux.

 

Références

1Pörtner et al. (2021). Rapport de l’atelier conjoint de l’IPBES et du GIEC sur la biodiversité et les changements climatiques; IPBES et GIEC (en anglais).
2Ahlering et al. (2016). « Potential carbon dioxide emission reductions from avoided-grassland conversion in the northern Great Plains » Ecosphere 7(12): e01625.
3https://www.worldwildlife.org/projects/plowprint-report (en anglais).

Photo : Pete Davidson
Read about Bird's Canada's new Grasslands Incentives Guide and how it will help birds.
Plectrophane à ventre noir Photo : Yousif Attia

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