Par Gwendolyn Clark, coordonnatrice, Fonds pour la restauration de cheminées utilisées par le Martinet ramoneur, et Andrew Coughlan, directeur associé – Québec et Région atlantique
Pour de nombreux amateurs d’oiseaux, le printemps, c’est l’occasion de ressortir les jumelles et de partir à la découverte des espèces que le temps plus clément attire. Assister à la migration printanière des oiseaux peut souvent sembler impossible pour les habitants des villes animées. Et pourtant, chaque année, des millions d’oiseaux survolent nos maisons pour se diriger vers le nord, et des millions d’autres font des villes leur destination. Ces oiseaux urbains s’installent partout, depuis les lampadaires jusqu’aux gouttières de maisons. Ils sont partout autour de nous, il suffit de savoir où regarder!
J’ai [Gwendolyn] vécu cette expérience l’an dernier, lors d’une frisquette soirée de printemps, au cœur du centre-ville de Toronto. Nous étions une soixantaine de personnes assemblées près du manège militaire du parc Moss pour assister à un spectacle que très peu de gens ont l’occasion de voir, bien qu’il se produise chaque printemps autour de nous. À la tombée de la nuit, le ciel s’est rempli de gazouillis lorsque des centaines de petits oiseaux ont commencé à tourner autour de la cheminée du bâtiment. Contrastant avec le ciel pâle, leurs corps en forme de cigare et leurs ailes en forme de boomerang se détachaient nettement. De plus en plus d’oiseaux sont apparus jusqu’à ce que, sans prévenir, ils se mettent à plonger dans la cheminée en un flot continu. Moins d’une minute plus tard, ils avaient disparu et le silence est revenu.

Des douzaines d’amateurs d’oiseaux se sont assemblés près du manège militaire du parc Moss, à Toronto, pour admirer les Martinets ramoneurs. Photo : Olivia Carvalho

Le Martinet ramoneur se distingue par son corps court et trapu en forme de cigare. Ses ailes sont longues, pointues et courbées comme un boomerang. Photo : Brandon Holden
Le spectacle impressionnant de centaines de martinets ramoneurs entrant dans une cheminée pour se reposer pendant la nuit est l’un des secrets les mieux gardés de la migration printanière. On peut y assister dans des villes et villages de l’est du Canada, du Manitoba jusqu’à la Nouvelle-Écosse. Or ce phénomène est devenu plus rare ces dernières années. L’une des principales raisons de cette tendance est la disparition des cheminées dont les martinets ont besoin.
Les Martinets ramoneurs sont uniques, car ils ne peuvent pas se percher sur des branches ou des fils comme les autres oiseaux. Ils s’accrochent plutôt à des surfaces verticales rugueuses à l’aide de leurs longues griffes. Cela signifie qu’ils peuvent nicher et se percher seulement dans des cheminées ouvertes dont l’intérieur est rugueux. Lorsque les cheminées sont obstruées (par exemple, avec un chapeau) ou gainées de métal à l’intérieur, les martinets ne peuvent plus les utiliser.

Les grillages, les gaines intérieures en métal et les pare-étincelles sont des éléments des cheminées qui font obstacle aux Martinets ramoneurs. N’importe quel objet qui bloque l’ouverture, comme un chapeau, pose également problème. Photo : Gwendolyn Clark

Les Martinets ramoneurs s’agrippent aux surfaces verticales avec leurs longues griffes. Pour les jeunes, comme ceux-ci, il est essentiel d’avoir des surfaces rugueuses auxquelles s’accrocher pour renforcer leurs muscles en prévision du vol. Photo : Nelson Poirier
La disparition des cheminées utilisables a eu des conséquences réelles pour les Martinets ramoneurs au Canada. Leur nombre a chuté de près de 90% depuis 1970. Une telle diminution est inquiétante, mais tout n’est pas perdu! Si nous agissons maintenant pour mettre fin à la disparition des cheminées, il y a tout lieu d’espérer que les effectifs de ces oiseaux extraordinaires puissent se rétablir. C’est là qu’intervient le Fonds pour le Martinet ramoneur.
Oiseaux Canada et plusieurs partenaires ont créé ce fonds en 2022 grâce à un financement d’Environnement et Changement climatique Canada. Le Fonds vise à protéger les sites de nidification et dortoirs de Martinets ramoneurs en les restaurant. L’approche consiste à offrir des subventions couvrant jusqu’à 50% du coût total des réparations/rénovations. Pour bénéficier de cette aide financière, les propriétaires des bâtiments doivent s’engager à maintenir leurs cheminées utilisables par les martinets pendant au moins 10 ans. Cela permet ainsi d’apporter une solution à long terme au problème de la perte d’habitat pour cette espèce.

Le Fonds pour le Martinet ramoneur aide à financer des travaux de restauration de cheminées comme ceux-ci à Boucherville, au Québec. Photo : Ville de Boucherville
La relance du Fonds en 2024 a été une grande victoire pour Oiseaux Canada, ses partenaires et les Martinets ramoneurs. Au cours des six derniers mois, nous avons travaillé avec des dizaines de propriétaires fonciers dans l’est du Canada afin de soutenir autant de projets que possible. En mars 2025, sept projets ont reçu une subvention du Fonds, pour un montant total de plus de 164 000$. Le montant des subventions individuelles varie entre 2213$ et 68 197$, ce qui témoigne de la diversité des travaux à effectuer. Celles-ci comprennent tout, depuis les petits travaux d’entretien comme le rejointoiement de briques jusqu’à la reconstruction complète. Les cheminées varient également en fonction de leur emplacement géographique, de l’habitat qu’elles offrent aux martinets et du nombre d’oiseaux qu’elles abritent. En restaurant une grande variété de cheminées, le Fonds permet de garantir que les Martinets ramoneurs ont accès à l’habitat dont ils ont besoin partout au Canada.

Les sept cheminées restaurées (sites de nidification et dortoirs) sont réparties sur un vaste territoire.
Par exemple, le Fonds a contribué cette année à financer la réparation de deux cheminées de nidification. La première était une cheminée d’un duplex à Montréal, au Québec, qui offre depuis 2022 un lieu de nidification aux martinets au cœur de l’une des grandes villes les plus animées du Canada. La seconde concernait une cheminée d’une maison historique à Wellington, en Ontario, qui a servi de site de nidification pendant plusieurs années jusqu’à ce que son ouverture soit recouverte d’un grillage. Après le retrait du grillage et la réparation de la maçonnerie, nous sommes convaincus que ce site accueillera l’espèce de nouveau. Chaque couple de Martinets ramoneurs élève 4 à 5 petits par an; donc préserver les cheminées de nidification de cette manière peut faire des merveilles pour aider l’espèce à se rétablir!

Cette cheminée restaurée à Montréal, au Québec, accueille des martinets depuis 2022. Comment le savons-nous? Grâce à un signe des plus évidents, un vieux nid (en médaillon)! Photo : Marilyne Clément
Certaines cheminées servent à la fois de sites de nidification et de dortoirs. Dans le second cas, elles accueillent un nombre variable de martinets, comme l’illustrent quatre cheminées restaurées cette année. La cheminée de l’église de Martinville, au Québec, est un dortoir plus petit, qui accueille jusqu’à sept martinets par nuit. La cheminée d’une maison historique réaménagée à Fredericton, au Nouveau-Brunswick, est plus grande et peut accueillir jusqu’à 13 martinets. De même, la cheminée de l’église de Gatineau, au Québec, en accueille jusqu’à 18. Par ailleurs, les cheminées de l’hôtel de ville de Hampton, au Nouveau-Brunswick, ont enregistré jusqu’à 64 martinets par nuit! Comme ces sites abritent les Martinets ramoneurs pendant deux étapes de leur cycle de vie, ils sont encore plus importants pour l’espèce. Leur restauration devrait à la fois assurer la survie de l’espèce pendant la migration et maximiser le nombre d’oisillons élevés.
Au terme de leur migration de ce printemps, les Martinets ramoneurs vont bientôt revenir dans les cheminées restaurées. Nulle part ailleurs leur arrivée n’est plus attendue qu’à l’ancien palais de justice d’Owen Sound, en Ontario. Au printemps, cette cheminée est un grand dortoir qui accueille en moyenne 125 martinets par nuit! De plus, c’est le seul dortoir de cette importance dans un rayon de 25 km, autrement dit le site le plus important pour l’espèce dans les environs. On craignait que la structure délabrée de cette cheminée ne disparaisse du paysage. Heureusement, les responsables du Fonds pour le Martinet ramoneur ont pu collaborer avec le propriétaire pour restaurer la structure au printemps 2025. Les travaux terminés, la cheminée est prête à accueillir les centaines d’occupants qui reviendront dans quelques semaines. Dans un monde où les travaux de développement immobilier menacent souvent les sites de Martinets ramoneurs, cette victoire est rare. Elle montre que l’on peut accomplir beaucoup en travaillant de concert avec les propriétaires de bâtiments pour assurer l’intendance de ces sites essentiels.

La cheminée de l’ancien palais de justice d’Owen Sound était en ruine en 2024 (à gauche). Avec l’aide financière du Fonds pour le Martinet ramoneur, on a pu la restaurer à temps pour le retour des martinets ce printemps. Photo : Peter Middleton
Alors que les martinets nous arrivent du nord-ouest de l’Amérique du Sud, comment savoir s’ils adopteront leurs nouveaux gîtes? Le Fonds a déjà fait ses preuves dans ce domaine. Les six cheminées restaurées au cours de la première année du projet ont toutes accueilli des pensionnaires au cours des deux années qui ont suivi les réparations. Les cheminées ont continué à servir aux martinets nicheurs, tandis que les dortoirs offraient un abri aux individus en migration. Les dortoirs de Pohénégamook, au Québec, et de Colchester, en Ontario, ont même enregistré des records (407 et 108 martinets respectivement)! Ces données nous indiquent que les restaurations ont permis de préserver les cheminées pour l’espèce. Forts de ce précédent, nous sommes convaincus que les centaines de martinets qui reviennent dans les cheminées restaurées ces derniers mois apprécieront leurs nouveaux logements.
Quel avenir est réservé au Fonds? Il sera de plus en plus nécessaire à mesure que les vieilles cheminées tomberont en ruine et que les coûts de réparation resteront élevés. Compte tenu des succès remportés jusqu’à présent, Oiseaux Canada espère que le Fonds pourra demeurer sous une forme ou une autre. La première étape consiste à déterminer quelles cheminées doivent être réparées et lesquelles sont utilisées par les martinets. C’est là que vous intervenez! Une des seules façons pour nous de le savoir est de recueillir l’information nécessaire au moyen d’inventaires réalisés par des bénévoles. Vous aimeriez nous donner un coup de main? Vous pouvez communiquer avec l’équipe du Suivi du Martinet dans votre région. Et si vous avez envie de vivre une expérience hors du commun ce printemps, participez à Swift Night Out ou vous pouvez simplement apporter une chaise pliante et vous rendre à une église, une école ou un bâtiment patrimonial doté d’une cheminée près de chez vous, vous asseoir et profiter du spectacle gratuit!