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Par Stu Mackenzie, directeur – Actifs stratégiques, Oiseaux Canada

Chaque automne, les papillons monarques (Danaus plexippus) entreprennent un voyage étonnant depuis le Canada et les États-Unis vers les forêts d’hivernage situées dans les hautes montagnes du centre du Mexique. Si l’écologie générale de cette migration est connue depuis des décennies, les trajectoires précises suivies par chaque papillon – comment ils naviguent dans les paysages, interagissent avec les conditions météorologiques et utilisent les habitats de halte – sont restées largement méconnues. Cette année, ces détails ont été mis en lumière grâce à une collaboration à l’échelle hémisphérique profondément enracinée à Long Point.

L’équipe d’Oiseaux Canada est fière de participer au Project Monarch, une collaboration à l’échelle du continent qui, pour la première fois, permet de suivre en temps quasi réel des monarques provenant de toute l’Amérique du Nord et des Caraïbes jusqu’à leurs sites d’hivernage au Mexique. Le projet, récemment présenté dans The New York Times, montre ce qu’il est possible de réaliser lorsque la technologie de pointe s’allie à la collaboration internationale et à une expertise de longue date en matière de conservation.

Au cœur de l’engagement d’Oiseaux Canada se trouvent deux piliers de la science des migrations et du leadership en matière de technologie de conservation qui maximisent nos forces pour mener à bien une conservation efficace: l’Observatoire d’oiseaux de Long Point (OOLP) et le Système de surveillance faunique Motus (Motus).

Long Point: plus de 30 ans passés au suivi des monarques

Monarque avec une balise Motus BlūSeries+. Photo : Samuel Perfect.

Bien avant l’apparition des nouvelles technologies, le personnel et les bénévoles de l’OOLP documentaient déjà la migration des monarques. Depuis plus de trois décennies, l’OOLP réalise des recensements quotidiens d’insectes tout au long de la saison de migration automnale, en notant le nombre et le comportement des monarques ainsi que le calendrier de leur passage à Long Point. Ce travail a donné lieu à l’un des recensements uniformisés les plus anciens au Canada et à des ensembles de données uniques en leur genre dans le monde.

Long Point, qui s’étend sur 32 km dans le lac Érié, forme un entonnoir naturel où se concentrent les migrateurs qui, autrement, seraient largement dispersés. Cela en fait un endroit idéal pour Oiseaux Canada et ses partenaires pour tester les nouvelles technologies, méthodes et idées en rapport avec l’écologie des migrations. Une grande partie des premiers essais de Motus ont été réalisés à Long Point, et des centaines de travaux de recherche sur les migrations y ont été menés.

Les installations et l’expertise de l’OOLP, associées au vaste réseau Motus existant, font de cet observatoire un endroit idéal pour lancer des études sur l’écologie de la migration des monarques, y compris l’utilisation de leur habitat et leurs déplacements, avec une précision sans précédent.

Un nouveau jalon pour Motus: tests et mises à niveau

En 2024, Oiseaux Canada a collaboré avec Greg Mitchell, Ph. D., et Ana Diaz Bohórquez d’Environnement et Changement climatique Canada (ECCC), avec le soutien de Conservation de la nature Canada (Aerin Jacob, Ph. D., et Sam Knight), pour tester la nouvelle technologie Motus à la station de recherche The Tip de l’OOLP. Il s’agissait de tester des balises BluMorpho de 60 mg alimentées à l’énergie solaire, mises au point par Cellular Tracking Technologies (CTT), partenaire technologique de Motus. Selon les études menées par des collaborateurs américains, le personnel de Motus et l’équipe de recherche, ces balises sont suffisamment légères pour être portées en toute sécurité par de gros insectes.

Ana Diaz avec un monarque au Tip de Long Point. Photo : Samuel Perfect.

Pour mener à bien cet essai, les antennes et les récepteurs Motus de Long Point ont été mis à niveau, faisant de ce site l’un des premiers au monde pouvant détecter les signaux de ces nouvelles balises. Les premiers tests se sont concentrés sur la manière dont les monarques utilisaient leur habitat et se déplaçaient à Long Point. Ils ont également montré que ces émetteurs, autrefois jugés inutilisables pour des insectes, pouvaient être portés fiablement par les monarques et utilisés pour récolter des données sur leurs déplacements dans la nature.

2025 : Repousser les limites par la collaboration à l’échelle continentale

Ana Diaz, Marianne Goulet, Lily Charles et le Dr Gregory Mitchell, membres du personnel d’ECCC, avec des étudiants de l’Université de Guelph et d’Ottawa au Tip de Long Point. Photo : Samuel Perfect.

Une fois faite la démonstration de faisabilité, Long Point est devenu un site clé au Canada dans le déploiement à l’échelle du continent du Project Monarch en 2025.

Début septembre 2025, l’équipe d’ECCC – accompagnée des étudiantes diplômées Marianne Goulet (Université de Guelph – travaillant avec le professeur Ryan Norris) et Lily Charles (Université d’Ottawa – travaillant avec la professeure Heather Kharouba) – s’est jointe au personnel d’Oiseaux Canada (OOLP et Motus) et des bénévoles de la station The Tip pour effectuer un suivi de l’étude de 2024 et déployer une première vague de 30 nouvelles balises BlūSeries+ améliorées. L’ajout des BlūSeries+ constitue une avancée majeure pour certaines applications, car ces dispositifs peuvent non seulement être détectés par les récepteurs Motus, mais aussi par les téléphones portables et les stations personnelles Terra compatibles Motus, ce qui étend considérablement les possibilités de détection partout dans le paysage. Les résultats ont commencé à affluer presque immédiatement depuis les récepteurs fixes et les stations mobiles Motus (p. ex., les téléphones portables) de pêcheurs sur des bateaux, de vacanciers sur des plages et de collectivités sur les côtes du lac Érié et au-delà.

Les signaux reçus pendant la période considérée ont permis de suivre les monarques quittant Long Point, traversant le lac Érié et continuant vers le sud-ouest en survolant des régions rurales et des milieux urbains, des parcours qui avaient déjà été déduits à partir d’observations et des régimes météorologiques, mais qui n’avaient jamais été représentés avec une telle précision. La quasi-totalité de cette première vague de monarques a rapidement traversé le lac Érié pour arriver à Erie, en Pennsylvanie, ou plus à l’ouest, vers Cleveland, dans l’Ohio. Un des papillons a disparu au large de Long Point mais a été détecté trois jours plus tard sur l’île Pelée.

Après le succès de ce projet et d’initiatives similaires menées à Cape May, dans le New Jersey, et par CTT et le Cape May Point Arts & Science Center (CMPASC), des spécialistes des monarques de toute l’Amérique du Nord se sont mobilisés pour déployer plus de 500 balises dans les différentes aires de répartition d’intérêt. Cette collaboration a réuni plus de 20 organisations dans quatre pays. Les données provenant des monarques marqués peuvent être suivies grâce à l’application Project Monarch, et elles seront bientôt intégrées à la base de données Motus pour que le public puisse y accéder. Dans le cadre de cette initiative, Oiseaux Canada et ses collaborateurs ont coordonné une deuxième vague de déploiements, plus importante, en libérant 25 monarques marqués à Long Point (à son siège social et aux stations The Tip et Old Cut) et près de la pointe Pelée.

Voici le fruit de la réflexion de Greg Mitchell à la suite des premières détections effectuées à Long Point: «Lorsque les données ont commencé à affluer depuis notre premier déploiement à Long Point, j’ai su que cela allait changer la donne. L’immédiateté et l’impact des résultats étaient stupéfiants et nous ont tous fait prendre conscience que nous pouvions commencer à vraiment comprendre comment les monarques se déplacent dans le paysage et réagissent aux défis météorologiques et de navigation qu’ils rencontrent tout au long de leur migration. En fin de compte, cela nous aidera à comprendre comment les changements climatiques peuvent avoir un impact sur les monarques et fournira des indices sur la manière dont différents habitats, par exemple les zones protégées et même les jardins, aident les monarques du Canada à atteindre le Mexique.» Greg a également souligné que ce travail aurait été très difficile sans le soutien d’Oiseaux Canada et de l’OOLP. Selon lui, c’est grâce à des partenaires de conservation solides et partageant les mêmes idées que ce projet a pu voir le jour et être couronné de succès. «C’était vraiment un travail d’équipe», a-t-il conclu.

Motus: Une décennie d’innovation dans le suivi d’insectes

Le succès de cette année s’appuie sur près d’une décennie d’innovation au sein de la communauté Motus. Les premières expériences ont démontré que la radiotélémétrie pouvait être utilisée sur des insectes bien avant que beaucoup ne croient cela possible. Plus de 950 monarques ont été suivis à l’aide d’émetteurs compatibles avec Motus, dont un papillon, marqué par la même équipe de recherche d’ECCC, qui a parcouru près de 1200 kilomètres depuis le sud de l’Ontario jusqu’au Kansas, le plus long voyage jamais enregistré pour un monarque marqué avant cette année.

Les collaborateurs de Motus ont également mené des expériences sur près de 100 libellules, dont l’Anax précoce, une espèce migratrice. Les technologies antérieures présentaient certes des limites, mais elles ont ouvert la voie à une multitude de nouvelles possibilités. Grâce à l’intégration de cette nouvelle technologie dans Motus, Oiseaux Canada et ses collaborateurs sont ravis de se pencher à nouveau sur le suivi des papillons et des libellules et d’étendre la recherche sur les migrations des insectes aux petits animaux.

Un nouveau chapitre pour la technologie Motus

Balise BluMorpho. Photo : Kyle Shepard

Stu Mackenzie, directeur – Actifs stratégiques à Oiseaux Canada, nous livre ses réflexions:

«Pour Oiseaux Canada, cette technologie contribue à atteindre le triple objectif transformateur de Motus: détecter les animaux et diffuser – par les réseaux cellulaires et IDO fonctionnant de concert – les données recueillies par l’infrastructure Motus de grande portée, les stations Motus personnelles et les signaux détectés dans les collectivités.

«Ce projet a véritablement comblé les aspirations de toute une vie pour ce groupe de collaborateurs. La possibilité de suivre en temps réel de petits animaux sauvages comme les monarques est tout simplement stupéfiante, et le potentiel que cela représente pour une conservation immédiate et percutante va rapidement devenir évident.»

Pour le bien des petits migrateurs, maintenant et dans l’avenir

Les monarques — et beaucoup d’autres espèces migratrices — sont confrontés à des menaces grandissantes, notamment la perte de leur habitat, les changements climatiques, les pesticides et des conditions météorologiques de plus en plus extrêmes. Pour protéger les migrateurs, il faut connaître leurs itinéraires et leurs lieux de repos et de ravitaillement. Les itinéraires révélés cette année depuis Long Point et la pointe Pelée jusqu’au centre du Mexique permettent aux scientifiques et aux conservationnistes d’en savoir davantage sur les milieux qui soutiennent les monarques tout au long de leurs voyages.

En renforçant les partenariats transfrontaliers et en diffusant ouvertement les données, Project Monarch démontre comment la conservation collaborative peut hausser le niveau de la recherche sur les oiseaux, les chauves-souris, les insectes et d’autres espèces qui dépendent de couloirs de migration préservés.

Il est déjà prévu d’étendre le réseau de stations Motus à l’ensemble de l’hémisphère et de déployer de nouvelles balises BlūSeries+. De plus, les collaborateurs, dont Oiseaux Canada, étudient les possibilités de suivre les mouvements printaniers des monarques et mènent diverses études visant à préserver notre petite faune sauvage.

Project Monarch montre ce qu’il est possible de réaliser lorsque la communauté scientifique, l’innovation et la collaboration internationale se rencontrent. Nous félicitons CTT et le Cape May Point Arts and Science Centre, et plus particulièrement les parties prenantes à cette collaboration, pour cette merveilleuse réussite et leur apport à la communauté scientifique dans le domaine de la conservation. Nous sommes honorés de contribuer à cet effort à l’échelle hémisphérique et impatients de découvrir les prochaines avancées.

Animation de plus de 500 papillons monarques suivis cet automne par cette collaboration à travers l’Amérique du Nord.
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