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Le 5 janvier 2021, le Fish and Wildlife Service des États-Unis (USFWS) a annoncé la mise en oeuvre d’une modification d’un règlement visant à assouplir des mesures essentielles de protection d’oiseaux qui avaient été adoptées en vertu de la Migratory Bird Treaty Act. Oiseaux Canada, de concert avec ses partenaires de BirdLife International aux États-Unis – la National Audubon Society et l’American Bird Conservancy –, demande instamment à la nouvelle administration Biden de renverser la décision de l’USFWS, qui constitue un revers pour les populations d’oiseaux dont les deux pays partagent le cycle annuel.

Le 19 janvier, deux poursuites ont été intentées dans le but de contester la modification en question, l’une par un groupe d’ONG et l’autre par un groupe de procureurs généraux d’États. Vous pouvez en apprendre davantage ici:

https://ag.ny.gov/press-release/2021/attorney-general-james-challenges-trump-administrations-last-ditch-efforts-harm

https://www.audubon.org/news/audubon-files-lawsuit-protect-migratory-bird-treaty-act

De plus, le 20 janvier, la nouvelle administration Biden-Harris a rendu publique une liste d’organismes gouvernementaux dont certaines décisions seront examinées. Cela comprend le règlement intitulé Regulations Governing Take of Migratory Birds, 86 Fed. Reg. 1134 (7 janvier 2021). Ainsi, la nouvelle administration considère l’examen de ce règlement comme prioritaire.

Dans une lettre ouverte, Steven Price, président d’Oiseaux Canada, explique pourquoi la modification susmentionnée du règlement d’application de la Migratory Bird Treaty Act est une erreur et pourquoi les Canadiennes et les Canadiens devraient s’en inquiéter. Elle a paru initialement dans l’édition du 4 janvier 2021 du quotidien The Globe and Mail. Nous en présentons ici une traduction en français.

Steven Price, président d’Oiseaux Canada

Pendant la Première Guerre mondiale, les plus hauts représentants des États-Unis et du Canada ont trouvé le temps malgré le contexte de se préoccuper du sort des oiseaux.

En 1916, le président Woodrow Wilson et le roi George V ont conclu un traité visant à faire cesser les massacres généralisés d’oiseaux sauvages. Comme des milliards d’oiseaux partagent les milieux terrestres et les eaux des deux pays, un accord s’imposait pour établir une coopération transfrontalière à cet égard.

Avant la signature du traité, la chasse commerciale débridée avait entraîné la disparition du Pigeon voyageur, et le Courlis esquimau était sur le bord de l’extinction. Il y avait même un concours pour déterminer qui abattrait le plus d’oiseaux le jour de Noël.

La Convention concernant les oiseaux migrateurs représente peut-être le plus durable engagement au monde envers la préservation de la faune pris par deux pays. Pendant plus de cent ans, elle a réglementé non seulement le massacre délibéré, par le biais de la chasse, de l’avifaune migratrice mais aussi les menaces croissantes auxquelles l’industrialisation l’exposait au 20e siècle. Les tribunaux des deux pays ont confirmé l’interprétation de la Convention selon laquelle la mortalité accidentelle relève des lois qui la font appliquer. Ainsi, les entreprises s’exposent à des poursuites si elles ne prennent pas des mesures raisonnables pour éviter de tuer des oiseaux, notamment en empêchant ceux-ci d’utiliser des bassins à résidus.

Or nous constatons que pendant les derniers jours de la présidence de Donald Trump, certains s’empressent de diluer la Convention en l’appliquant seulement aux actes délibérés d’abattage (ou de «prélèvement» en langage juridique). Cette semaine, le département de l’Intérieur des États-Unis semble disposé à adopter en bonne et due forme une modification des règles qui aurait pour effet, sans soustraire la chasse du champ d’application de la loi, d’en exclure la mortalité «accidentelle» causée par les pratiques industrielles. D’un trait de plume, cent ans de préservation de l’avifaune seraient réduits à néant. Le filet de sécurité protégeant les oiseaux des incidences des activités industrielles disparaîtrait, donnant libre cours à la destruction sans conséquences juridiques de dizaines de millions d’oiseaux, de leurs oeufs et de leurs nids.

Pourquoi cet obscur enjeu politique états-unien devrait-il nous préoccuper? Parce que, chaque année, des milliards d’oiseaux qui gagnent le sud survolent sans s’en rendre compte le 49e parallèle, cette ligne artificielle tracée sur les cartes en travers de leurs voies migratoires. Et une fois arrivés aux États-Unis, ils seront assujettis à une modification apportée brutalement au «contrat de location» de leurs lieux d’hivernage ou de halte migratoire.

En effet, plus de 70 pour cent de nos espèces d’oiseaux nicheurs nous quittent en automne. En décembre, la plupart des oiseaux migrateurs venant du Canada sont rendus aux États-Unis ou plus au sud; dans ce dernier cas ils feront halte chez nos voisins américains pour se reposer et se nourrir. Deux fois l’an, ce sont d’épuisants voyages qui nécessitent des arrêts aux puits en cours de route. Dans le sens inverse, une multitude d’oiseaux qui occupent les zones terrestres et aquatiques des États-Unis de l’automne au printemps retournent vers le nord pour se reproduire durant l’été dans les forêts, les prairies, la toundra et d’autres paysages du Canada.

Essentiellement, pour les oiseaux, le Canada est la pouponnière des États-Unis et les États-Unis, le refuge du Canada. Pour atteindre leurs objectifs en matière de conservation, l’un et l’autre doivent maintenir leur engagement.

En tant que conservationniste et Canadien, j’évite la partisanerie outre-frontière. Mais il est important de préciser que les administrations autant républicaines que démocrates ont respecté la convention dans le passé. Il en fut de même ici pour les gouvernements libéraux et conservateurs. En fait, à l’origine, la convention a connu un tel succès que le Mexique a conclu un traité similaire avec les États-Unis en 1920, scellant ainsi un partenariat nord-américain. Aujourd’hui, la loi fédérale états-unienne protège 1093 espèces d’oiseaux.

Il faut accorder plus de protection aux oiseaux, pas moins. Selon les auteurs d’un article paru en 2019 dans la revue Science, les populations nord-américaines d’oiseaux de prairies ont diminué de 53 pour cent depuis 1970, ce qui représente une perte totale estimée à trois milliards d’individus. Les changements climatiques et d’autres phénomènes font fi des frontières, et nous devons intervenir à l’échelle internationale si nous voulons éviter ce que la conservationniste et auteure Rachel Carson a appelé le «Printemps silencieux» (titre d’un de ses ouvrages). Le moment est tout à fait mal choisi pour rompre une convention que nos deux pays ont appliquée fidèlement et avec succès depuis si longtemps.

 Phalarope à bec large Photo : Yousif Attia

En août 2020, une juge américaine a rejeté la tentative de l’administration Trump d’exempter les incidences des activités industrielles du champ d’application de la Convention concernant les oiseaux migrateurs. Malgré cela, l’administration Trump en fin de régime persiste pourtant dans son dessein, oblitérant ainsi un siècle de protection de la faune aviaire dans toute l’Amérique du Nord. En rendant sa décision, la juge de la cour de district Valerie Caproni a frappé dans le mille en citant l’écrivaine Harper Lee : « Ce n’est pas simplement un péché de tuer un oiseau moqueur, c’est également un crime. »

Les citoyennes et citoyens de nos deux pays ont célébré fièrement plus de deux cent ans de voisinage dans la paix, une paix qui a exigé beaucoup de travail et d’engagement mutuel. Il en va de même pour nos efforts de protection des espèces d’oiseaux dont nous partageons le cycle annuel. Le roi George V et Woodrow Wilson partageraient de tout coeur ce point de vue.

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