
Un Junco ardoisé vocalisant en forêt boréale. Photo : Thomas Gianoli
Par Thomas Gianoli, Biologiste, Surveillance des oiseaux – Nord du Canada
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Replongeons en février, froid glacial et neige abondante. De la fenêtre de mon bureau, l’hiver bat son plein, la nature est tranquille, et le peu d’oiseaux qui bravent l’hiver font tout en leur pouvoir pour survivre à cette saison rude. Je m’assois à mon ordinateur, accompagné de ma tasse de café, je mets mes écouteurs, je sélectionne un fichier audio à analyser provenant d’un projet d’enregistreurs autonomes (EA) et je clique sur « Play ». Les sons de la nature s’emparent de mes oreilles, on dirait que je reviens dans le temps de quelques mois. Les feuilles et les arbres qui bougent avec la brise, un ruisseau qui coule au loin, mais surtout un orchestre de mélodies des plus différentes jouées à la perfection par ses musiciens. Grives, parulines et bruants au chant, pics et gélinottes aux percussions. Chacun d’entre eux possède sa signature unique, rendue visible et identifiable grâce aux spectrogrammes des enregistrements sonores.

Enregistreur autonome monté sur un Sapin baumier. Photo: Sasha Chillibeck

Pourquoi on écoute des enregistrements d’oiseaux?
Les inventaires d’oiseaux pendant leur saison de reproduction sont d’une importance cruciale au Canada, et partout ailleurs dans le monde, afin d’obtenir des données essentielles en lien avec les tendances des populations. Plusieurs protocoles sont mis en place durant l’été, comme les atlas et les Relevés des oiseaux nicheurs (BBS en anglais), le Programme de surveillance des marais ou plus spécifiquement le Programme d’études des oiseaux forestiers de haute altitude, qui vise l’habitat de la Grive de Bicknell. Ce sont des exemples parmi tant d’autres. Année après année, nous sommes en mesure de documenter les changements des populations d’oiseaux à travers le Canada afin de mieux agir pour leur conservation à long terme. Toutefois, nous vivons dans un immense pays dont le territoire est largement sauvage, où les accès sont pour la majorité difficiles, voire impossibles sans des alternatives au transport terrestre. De plus, nous ne pouvons pas être partout en même temps pendant un été, il faudrait être capables de se cloner! Cela est particulièrement vrai en forêt boréale et dans le grand nord canadien. Malgré les énormes efforts déployés depuis les dernières décennies, la répartition nordique d’une bonne partie des espèces d’oiseaux est encore mystérieuse. C’est là que la technologie et les savoirs des communautés autochtones entrent en jeu et nous permettent de lever les voiles sur ces inconnues.

Les enregistreurs autonomes (EA) placées au début de l’été et récupérées à sa fin, fournissent potentiellement des centaines et des centaines d’heures de fichiers audio qui sont enregistrées à tout jamais sur des cartes mémoire.
Ces fichiers doivent ensuite être analysés après la saison de terrain par des biologistes et ornithologues aguerris pour découvrir la diversité d’oiseaux qui vocalisent et donc avoir une meilleure idée de ce qui se passe à un endroit donné. On m’a déjà dit que les « données des EA sont des marques pérennes du paysage naturel qui sont d’une valeur inestimable », et cela ne peut être plus vrai. Imaginez : nous pouvons savoir avec exactitude quel oiseau a chanté à quel moment exact à un endroit précis, le réécouter autant de fois qu’on veut et comparer avec les années futures afin de détecter immédiatement des changements dans l’occurrence et même dans les vocalisations d’une espèce.
N’est-ce pas fantastique? Je trouve ça personnellement extraordinaire que nous soyons en mesure de faire cela aujourd’hui, et cela rend mon travail d’autant plus passionnant!
Nous voici donc au début d’une nouvelle saison de terrain, les oiseaux migrateurs reviennent sur leur aire de reproduction et l’excitation générale liée au réveil de la nature printanier se poursuit. Nos différents programmes sont à l’œuvre pour organiser le déploiement et la récupération de nouveaux enregistreurs avec nos partenaires à des endroits connus et lointains afin d’en dévoiler leurs secrets. Des nouvelles données, des nouvelles surprises, des nouveaux concerts par ces mêmes artistes qui nous ont accompagnés pendant les derniers mois dans nos bureaux. Une saison estivale qui permettra de combler le prochain hiver de nos biologistes de mélodies boréales.