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Un Junco ardoisé vocalisant en forêt boréale. Photo : Thomas Gianoli

Par Thomas Gianoli, Biologiste, Surveillance des oiseaux – Nord du Canada

 5 minutes de lecture | Link to the English blog

Replongeons en février, froid glacial et neige abondante. De la fenêtre de mon bureau, l’hiver bat son plein, la nature est tranquille, et le peu d’oiseaux qui bravent l’hiver font tout en leur pouvoir pour survivre à cette saison rude. Je m’assois à mon ordinateur, accompagné de ma tasse de café, je mets mes écouteurs, je sélectionne un fichier audio à analyser provenant d’un projet d’enregistreurs autonomes (EA) et je clique sur « Play ». Les sons de la nature s’emparent de mes oreilles, on dirait que je reviens dans le temps de quelques mois. Les feuilles et les arbres qui bougent avec la brise, un ruisseau qui coule au loin, mais surtout un orchestre de mélodies des plus différentes jouées à la perfection par ses musiciens. Grives, parulines et bruants au chant, pics et gélinottes aux percussions. Chacun d’entre eux possède sa signature unique, rendue visible et identifiable grâce aux spectrogrammes des enregistrements sonores.

Je me sens privilégié d’entendre le paysage sonore naturel de la forêt boréale à son apogée de vie et d’énergie. Un paysage qui est autrement difficilement accessible pour n’importe qui. Le côté zen de ces projets d’écoute d’enregistrements est tout à fait extraordinaire. Par contre, la concentration doit être à son maximum, prêt à détecter les chants les plus lointains, émis à plusieurs mètres de l’emplacement de l’enregistreur. La diversité et l’abondance des oiseaux boréaux en saison de reproduction peut parfois être intimidante, et déceler le chant d’une paruline parmi la cacophonie de Bruants à gorge blanche peut être une tâche ardue, mais satisfaisante. Identifier une espèce menacée ou rare à un certain endroit, amène toujours son lot de joie et je vous avouerai même un peu de fierté. 
Je vous parlais de spectrogrammes : à quoi cela ressemble? En voici un exemple: 
Enregistreur autonome monté sur un Sapin baumier. Photo: Sasha Chillibeck
Les lignes noires sont les vocalisations des oiseaux. Plus elles sont foncées, plus ils sont proches de l’enregistreur. À gauche, l’échelle de fréquences en Hertz. Ici on voit le Moucherolle à ventre jaune (A), la Paruline noir-et-blanc (B), la Paruline masquée (C), le Bruant à gorge blanche (D) et le Bruant de Lincoln (E). Les reconnaissez-vous? Avec le temps, juste en voyant ces signatures on est en mesure d’identifier et même d’imaginer le chant des oiseaux dans notre tête. C’est un grand atout même dans l’identification des oiseaux de tous les jours lors de nos sorties ornithologiques. De plus, ça me permet d’être frais et prêt pour le retour des oiseaux une fois le printemps venu, un vrai antirouille hivernal pour les vocalisations d’oiseaux. À ne pas sous-estimer! 

Pourquoi on écoute des enregistrements d’oiseaux?

Les inventaires d’oiseaux pendant leur saison de reproduction sont d’une importance cruciale au Canada, et partout ailleurs dans le monde, afin d’obtenir des données essentielles en lien avec les tendances des populations. Plusieurs protocoles sont mis en place durant l’été, comme les atlas et les Relevés des oiseaux nicheurs (BBS en anglais), le Programme de surveillance des marais ou plus spécifiquement le Programme d’études des oiseaux forestiers de haute altitude, qui vise l’habitat de la Grive de Bicknell. Ce sont des exemples parmi tant d’autres. Année après année, nous sommes en mesure de documenter les changements des populations d’oiseaux à travers le Canada afin de mieux agir pour leur conservation à long terme. Toutefois, nous vivons dans un immense pays dont le territoire est largement sauvage, où les accès sont pour la majorité difficiles, voire impossibles sans des alternatives au transport terrestre. De plus, nous ne pouvons pas être partout en même temps pendant un été, il faudrait être capables de se cloner! Cela est particulièrement vrai en forêt boréale et dans le grand nord canadien. Malgré les énormes efforts déployés depuis les dernières décennies, la répartition nordique d’une bonne partie des espèces d’oiseaux est encore mystérieuse. C’est là que la technologie et les savoirs des communautés autochtones entrent en jeu et nous permettent de lever les voiles sur ces inconnues.

Une des nombreuses technologies en plein essor est celle des enregistreurs autonomes (EA), des petites unités que l’on peut déployer sur de longues périodes et qui enregistrent en continu les bruits de la nature environnante. De plus en plus de projets menés par les communautés autochtones utilisent cette technologie qui devient plus accessible et facile à déployer avec les années. Des programmes d’Oiseaux Canada comme « La Science dans le nord » viennent en support de ces projets dans le nord de l’Ontario, du Québec et au Labrador, souvent en collaborant avec de multiples acteurs comme Environnement et Changement climatique Canada ou l’Institut de développement durable des Premières Nations du Québec et du Labrador afin de créer des synergies dans nos efforts communs. En écoutant les priorités et les besoins de ces partenaires et collaborateurs précieux pour la conservation des oiseaux, nous les aidons afin de permettre la réalisation des inventaires souhaités et ainsi garantir aux communautés autochtones une autonomie à long terme pour tout genre de suivis d’oiseaux. Ces unités, placées au début de l’été et récupérées à sa fin, fournissent potentiellement des centaines et des centaines d’heures de fichiers audio qui sont enregistrées à tout jamais sur des cartes mémoire.
Les enregistreurs autonomes (EA) placées au début de l’été et récupérées à sa fin, fournissent potentiellement des centaines et des centaines d’heures de fichiers audio qui sont enregistrées à tout jamais sur des cartes mémoire. 

Ces fichiers doivent ensuite être analysés après la saison de terrain par des biologistes et ornithologues aguerris pour découvrir la diversité d’oiseaux qui vocalisent et donc avoir une meilleure idée de ce qui se passe à un endroit donné. On m’a déjà dit que les « données des EA sont des marques pérennes du paysage naturel qui sont d’une valeur inestimable », et cela ne peut être plus vrai. Imaginez : nous pouvons savoir avec exactitude quel oiseau a chanté à quel moment exact à un endroit précis, le réécouter autant de fois qu’on veut et comparer avec les années futures afin de détecter immédiatement des changements dans l’occurrence et même dans les vocalisations d’une espèce.

N’est-ce pas fantastique? Je trouve ça personnellement extraordinaire que nous soyons en mesure de faire cela aujourd’hui, et cela rend mon travail d’autant plus passionnant!  

Nous voici donc au début d’une nouvelle saison de terrain, les oiseaux migrateurs reviennent sur leur aire de reproduction et l’excitation générale liée au réveil de la nature printanier se poursuit. Nos différents programmes sont à l’œuvre pour organiser le déploiement et la récupération de nouveaux enregistreurs avec nos partenaires à des endroits connus et lointains afin d’en dévoiler leurs secrets. Des nouvelles données, des nouvelles surprises, des nouveaux concerts par ces mêmes artistes qui nous ont accompagnés pendant les derniers mois dans nos bureaux. Une saison estivale qui permettra de combler le prochain hiver de nos biologistes de mélodies boréales.

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