Par Laura McFarlane Tranquilla, Ph. D., gestionnaire des programmes dans le Canada atlantique, Études d’Oiseaux Canada
Juin est un mois important pour moi, pour deux raisons. Premièrement, ma fille est née en juin. Deuxièmement, tout de suite après cet anniversaire a lieu mon voyage annuel dans l’île Baccalieu, à Terre-Neuve-et-Labrador, où j’étudie l’Océanite cul-blanc, dont les effectifs se raréfient, avec mon amie et collègue April Hedd, Ph. D.
L’Océanite cul-blanc, un des oiseaux marins les plus abondants du monde, forme des colonies un peu partout dans l’hémisphère Nord. Toutefois, ses populations ont diminué de 30 à 50% dans toutes les colonies de nidification où il est étudié, dont la plus grande, qui se trouve dans l’île Baccalieu. En 2016, l’Union internationale pour la conservation de la nature a désigné cet océanite espèce vulnérable, ce qui reflétait les préoccupations exprimées – et de plus en plus fortes – à son égard.
En 2017, Études d’Oiseaux Canada a obtenu une subvention de trois ans au titre de l’Initiative des écosystèmes de l’Atlantique en vue de recueillir de l’information dans des colonies de première importance de l’espèce dans la région atlantique du Canada, de concert avec plusieurs collaborateurs. Nous cherchons à déterminer pourquoi les effectifs de l’Océanite cul-blanc sont en régression. Les menaces qui pèsent sur cet oiseau sont multiples et insuffisamment connues, mais elles comprennent vraisemblablement la prédation aux colonies, les effets de contaminants de l’environnement (le mercure par exemple), les risques en mer (comme l’attraction exercée par les navires et des collisions avec ceux-ci, les torches aux plates-formes d’exploitation pétrolière en mer et les parcs éoliens) ainsi que les changements dans les sources d’approvisionnement en nourriture causés par les changements climatiques. Il se peut également que certaines pièces du puzzle d’ensemble nous manquent à cause du manque de connaissances sur les contraintes et les exigences auxquelles l’espèce est confrontée tout au long de son cycle de vie. Ces minuscules oiseaux marins, qui ne pèsent que 40 à 50 grammes, soit environ la moitié du poids d’une plaquette de beurre, sont répartis sur l’immensité océanique où il est impossible pour les biologistes de les étudier.
Mes visites à l’île Baccalieu ne constituent qu’une partie du puzzle, et il faudrait compter sur une équipe beaucoup plus consistante pour pousser les recherches. Cette année, des biologistes travaillant pour de nombreuses organisations (Études d’Oiseaux Canada, Environnement et Changement climatique Canada, l’Université Acadia, l’Université du Nouveau-Brunswick, le Collège Kenyon et le Collège Bowdoin) ont visité d’importantes colonies d’Océanites cul-blanc dans l’ensemble de la région atlantique. En s’appuyant sur les résultats d’années de recherches indépendantes menées dans chaque colonie, l’équipe s’efforce de coordonner les évaluations des quatre principales composantes de l’écologie de l’espèce : 1) le taux de survie des adultes (combien d’adultes retournent aux colonies chaque année); 2) la productivité annuelle (combien d’œufs éclosent avec succès); 3) les teneurs en mercure dans les tissus corporels (les plumes et le sang); et 4) les endroits où se trouvent les oiseaux en mer (pendant la saison de reproduction et tout au long de leurs déplacements en direction et en provenance de l’hémisphère Sud durant l’année).
Mes voyages à l’île Baccalieu, maintenant au nombre de six, me paraissent maintenant comme des pèlerinages, des séjours quelque peu difficiles dans un lieu remarquable, mais qui présente son lot d’aléas. Pour nous y rendre, nous sommes habituellement retardés par la pluie, de fortes bourrasques et des vagues de trois mètres qui sont monnaie courante à Terre-Neuve. Nous profitons d’une accalmie pour accoster tant bien que mal sur la côte rocheuse et monter nos réserves de nourriture et d’eau ainsi que notre matériel de camping sur les hauteurs de l’île, après quoi nous nous préparons à travailler. Pendant nos séjours, qui peuvent durer jusqu’à dix jours, nous vivons sous la tente, utilisons un petit poêle au gaz propane et parcourons l’île. Sur le terrain, le travail est très salissant pour les nombreux biologistes engagés dans cette recherche, mais à un niveau plus général, ce travail relativement simple permet d’obtenir un portrait à grande échelle de la biologie de l’espèce au fil du temps dans la région.
En poursuivant cette étude intégrée, nous espérons obtenir une vision plus globale des causes du déclin si alarmant du nombre de ces petits oiseaux et, à terme, déterminer comment faire pour les sauver. Nous espérons, à terme, utiliser nos connaissances pour sensibiliser la population, les gouvernements et les entreprises, dont les activités pourraient contribuer à assurer la conservation de l’Océanite cul-blanc.