Par Devin de Zwaan, Ph. D., et Davide Scridel, Ph. D., Département des sciences forestières et de la conservation, Université de la Colombie-Britannique
Le réchauffement planétaire exerce une pression sur tous les écosystèmes, en particulier aux latitudes et altitudes élevées, où les températures augmentent deux fois plus vite qu’à l’échelle mondiale. Dans le cas des oiseaux de l’Arctique et des milieux alpins, même des hausses modérées des températures peuvent poser de graves problèmes de régulation de la température corporelle, car ces oiseaux sont adaptés au temps froid, mais pas pour évacuer la chaleur (article en anglais). Les effets indirects des changements climatiques pourraient être plus inquiétants, car bon nombre d’espèces pourraient voir leurs réserves alimentaires et leur habitat en souffrir. Les températures plus élevées en haute altitude contribueraient vraisemblablement à l’avancée de la limite des arbres, ces derniers poussant de plus en plus haut sur les pentes des montagnes. Cela réduirait la quantité d’habitat au-dessus de la limite des arbres pour les oiseaux alpins, au point que certaines espèces seraient finalement contraintes de quitter la montagne.
Lagopède alpin (mâle) Photo : Scott Wilson
Compte tenu de ces pressions, il est essentiel de déterminer les effets que produiront les futurs changements du climat et de l’habitat sur la répartition des oiseaux alpins, en vue d’élaborer des stratégies efficaces de préservation des espèces touchées. Or, étant donné que beaucoup d’habitats de haute altitude sont difficiles à atteindre, les connaissances sur cette répartition sont incomplètes. La Colombie-Britannique est une des régions les plus montagneuses de l’Amérique du Nord : environ 75% de sa masse continentale culminent à plus de 1000 mètres. C’est également l’un des rares endroits au monde où l’on peut trouver les trois espèces de lagopèdes (de gros tétras du genre Lagopus), parfois même sur la même montagne, soit les Lagopèdes des saules, alpin et à queue blanche. Ces espèces alpines emblématiques sont adaptées au froid et hautement spécialisées pour vivre toute l’année dans les milieux exposés aux rigueurs du climat au‑dessus de la limite des arbres.
Lagopède des saules Photo : Devin de Zwaan
Dans un article paru récemment (en anglais), Davide Scridel, Ph. D., et ses co-auteurs ont estimé la répartition actuelle des trois espèces de lagopèdes et prédit comment leurs aires de répartition pourraient se déplacer d’ici aux années 2080 sous l’influence combinée de l’évolution des régimes climatiques et du couvert végétal sur l’adéquation de l’habitat. Les auteurs ont également cherché à savoir dans quelle mesure notre réseau de zones protégées (par exemple, les parcs fédéraux et provinciaux) représente les habitats actuels et futurs des lagopèdes. Les données récoltées de 1970 à 2019 proviennent principalement de citoyens scientifiques, y compris des alpinistes et des naturalistes amateurs, les participants à la campagne de l’Atlas des oiseaux nicheurs de la Colombie-Britannique et les utilisateurs de plateformes comme iNaturalist et eBird. Des données à petite échelle sur le climat (températures, précipitations) et la végétation recueillies au cours des 50 dernières années ont été combinées avec les prédictions pour les années 2080 selon le scénario du maintien du statu quo quant au climat. La province se démarque en ce sens qu’une équipe de l’Université de la Colombie-Britannique a élaboré des projections relatives à la végétation librement accessibles (en anglais) pour l’ensemble du territoire. Celles‑ci ont servi à mettre au point des modèles visant à déterminer la répartition actuelle et à prédire la répartition future de chaque espèce de lagopède.
Actuellement, c’est le Lagopède à queue blanche dont l’aire de répartition est la plus étendue en Colombie-Britannique, en partie à cause de sa plus grande prévalence dans le sud de la province par rapport aux deux autres espèces. C’est également cette espèce qui est présente aux plus hautes altitudes et donc dans les conditions les plus froides, suivie par les deux autres espèces. Les trois espèces sont associées aux terrains rocailleux et typiques de la toundra, mais le Lagopède des saules est davantage présent dans les milieux arbustifs où la structure de l’habitat est donc moins ouverte en comparaison.
Lagopède à queue blanche (femelle) Photo : Scott Wilson
Lagopède des saules (mâle) Photo : Scott Wilson
Selon les prédictions, les aires de répartition des lagopèdes se déplaceront vers le haut en moyenne d’environ 250 m et vers le nord de 1,2° de latitude, suivant essentiellement le climat plus frais. Ces changements correspondent à de fortes diminutions de l’étendue des aires de répartition se traduisant par une perte de 85,6% de l’habitat approprié pour le Lagopède à queue blanche, de 79,5% pour le Lagopède alpin et de 61,3% pour le Lagopède des saules. La diminution moins radicale pour cette dernière espèce est attribuable en grande partie à l’expansion de l’aire de répartition dans des zones qui ne lui conviennent pas actuellement dans le Nord, laquelle est probablement liée à la capacité de ce lagopède à habiter des paysages plus arbustifs à des altitudes plus basses. Finalement, mentionnons que seulement 29% environ de l’aire de chaque espèce se trouveront dans des aires protégées établies en 2080 selon les prédictions.
Qu’est-ce que cela signifie pour l’avenir des lagopèdes en Colombie-Britannique? Bien que ces données soient désolantes, la réduction de l’aire de répartition était plus lente à l’intérieur qu’à l’extérieur des zones protégées, ce qui laisse entendre que les caractéristiques de l’habitat à l’intérieur de ces zones peuvent avoir une certaine capacité à atténuer les effets des changements climatiques sur les lagopèdes. Dès lors, un réseau étendu d’aires protégées bien reliées ciblant les habitats prioritaires en haute altitude limiterait les incidences des activités humaines (par exemple, l’exploitation minière au sommet des montagnes) tout en préservant potentiellement les zones où règne le microclimat nécessaire à la survie des lagopèdes et d’autres espèces sauvages des milieux alpins.
Paysage alpin comprenant des habitats des trois espèces de lagopède aux différents niveaux d’élévation. Photo : Devin de Zwaan
Cette recherche ne serait pas possible sans la contribution de citoyens scientifiques tels que vous qui versent leurs données sur des plateformes comme eBird. Il convient de noter cependant que près de 50% de toutes les observations de lagopèdes signalées sur eBird n’ont pas pu être utilisées pour cette étude, car les mentions couvraient une distance trop importante et correspondaient à des coordonnées géographiques qui n’étaient pas représentatives des habitats alpins (par exemple, des fonds de vallée). Pour que les listes d’observation soient plus utiles pour le type de recherche qui nous occupe et pour les initiatives de conservation, les observateurs d’oiseaux devraient les soumettre par rapport à des types d’habitat distincts ou les limiter à un rayon inférieur à 2 km ou à une période d’observation de 30 minutes tout au plus.
Vous pouvez obtenir de plus amples détails sur cette étude en lisant l’article scientifique suivant, disponible en libre accès: https://doi.org/10.1111/ddi.13366 (en anglais).