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Par Graham Sorenson et Yousif Attia, Oiseaux Canada

Le détroit de la Reine-Charlotte est un étroit bras de mer qui sépare le nord de l’île de Vancouver de la côte de la Colombie-Britannique. Il est délimité par les eaux libres du bassin du même nom au nord-ouest et le détroit de Johnstone au sud-est. La zone est connue pour accueillir un grand nombre de cétacés de plusieurs espèces. Les îles voisines sont également connues pour fournir un habitat de nidification à des dizaines, voire des centaines, de milliers d’océanites et de Macareux rhinocéros chaque été.

Bien que les gens soient depuis longtemps conscients de cette abondante vie marine, jusqu’à récemment, il n’y avait aucune étude publiée sur les oiseaux dans le détroit. Cela signifie que nous n’avons pas de documentation sur les populations et les espèces d’oiseaux qui utilisent le détroit au cours d’une année déterminée (données de base) que nous pourrions comparer avec les données des années à venir pour voir l’évolution dans le temps de la présence des oiseaux dans le détroit en réponse aux changements climatiques, aux mesures de conservation ou à d’autres facteurs.

Mouette tridactyle Photo: Graham Sorenson

Tony Gaston, Ph. D., avec le soutien d’Oiseaux Canada et de Mark Maftei, de la Raincoast Education Society, a entrepris d’enrichir ses connaissances en menant des relevés formels autofinancés en 2020 et 2021. Et nous avons eu l’occasion de participer aux relevés sur le terrain!

Photo: Graham Sorenson

Tony Gaston a oeuvré au sein d’Environnement et Changement climatique Canada comme chercheur. Maintenant retraité, il poursuit ses activités comme naturaliste, écrivain et président du comité consultatif scientifique de la Laskeek Bay Conservation Society. Il a publié des centaines d’articles scientifiques et cinq livres et copublié le récent ouvrage à succès Birds of Nunavut. Tony a reçu le prix Doris Huestis Spears pour sa contribution exceptionnelle à l’ornithologie canadienne et le prix Jamie Smith Mentoring Award de la Société des ornithologistes du Canada.

Les relevés effectués dans le détroit de la Reine-Charlotte visaient deux objectifs principaux: déterminer la «période de pointe» de la migration pour chaque espèce d’oiseau survolant le détroit ou y arrivant pour hiverner (c.-à-d. le moment auquel on observait le plus grand nombre d’individus de chaque espèce dans le détroit pendant la migration), et estimer ce nombre d’individus pour chaque espèce en question pendant cette période.

Il est utile de savoir combien d’oiseaux utilisent une certaine zone en même temps car, si une espèce en particulier est très abondante, la zone en question pourrait être désignée ZICO (zone importante pour la conservation des oiseaux et de la biodiversité) ou ZCB (zone clé pour la biodiversité). Cela peut ensuite servir de tremplin vers une conservation durable de la zone.

Nous nous attendons à ce que ce soit pendant la migration d’automne que le nombre d’individus et d’espèces soient les plus nombreux. Cela s’explique notamment par le fait qu’en cette saison, les eaux abritées du détroit offrent beaucoup de nourriture pour attirer les oiseaux. De plus, les jeunes nés durant l’été et les adultes sont en train de migrer, contrairement à ce qui se passe pendant la migration du printemps, qui a lieu avant que les «jeunes de l’année» naissent. Enfin, le détroit, par sa configuration géographique, «intercepte» les oiseaux qui migrent vers le sud l’automne.

Dans le but d’évaluer l’abondance et la diversité des espèces, Tony a conçu un protocole permettant de suivre les mêmes ensembles de «transects» (lignes droites que les chercheurs suivent lorsqu’ils comptent les oiseaux) quatre fois par an, de la fin d’août à la mi-octobre, les relevés étant espacés de deux semaines. Les relevés ont permis d’enregistrer la présence de plusieurs groupes d’oiseaux qui dépendent des habitats marins, notamment les oiseaux aquatiques (canards, bernaches et oies), les plongeons, les grèbes, les mouettes et goélands, les Alcidés (guillemots et macareux), les Procellariiformes (oiseaux marins à narine tubulaire, tels les puffins et les océanites), ainsi que les oiseaux de rivage. Au cours des relevés, les chercheurs ont également noté leurs observations de mammifères marins, notamment des cétacés, des marsouins, des otaries, des phoques et des loutres de mer. Ces relevés en bateau sont plus efficaces pour détecter les espèces hauturières comme les puffins, les océanites, les guillemots et les macareux que les relevés existants effectués depuis la côte, par exemple le Relevé des oiseaux aquatiques côtiers de la Colombie-Britannique.

La zone d’étude. Les lignes blanches correspondent aux principaux transects suivis par les chercheurs.
Rorqual à bosse Photo: Graham Sorenson

Les données de dénombrement d’oiseaux issues des relevés peuvent servir à estimer le nombre total d’individus de chaque espèce présents dans l’ensemble du détroit de la Reine-Charlotte. Pour la première année de relevés, le nombre estimé de Guillemots colombins s’élevait à environ 2500 individus dans tout le détroit, ce qui représente près de 4% de toute la population nord-américaine de l’espèce. Parmi certaines des autres remarquables estimations réalisées en 2020, on compte celles de plus de 40 000 Guillemots marmettes, de 3000 à 4000 Goélands à bec court et de 8000 à 13000 Goélands de Californie En 2021, les estimations du nombre de Guillemots marmettes pour l’ensemble du détroit étaient de nouveau supérieures à 10000, et on estimait le nombre de Macareux rhinocéros à 3000 dans toute la zone d’étude.

Une des équipes qui ont réalisé les relevés en 2020. De gauche à droite: Graham, Sonya, Ken et Mark. Photo: Graham Sorenson

Notes de terrain de Graham

Dès le début de notre tout premier transect, j’étais très excité d’être sur l’eau! Mais un transect particulier, qui nous a pris 20 minutes à suivre, a été le point culminant. Ce transect longeait la limite ouest du parc provincial marin de l’archipel Broughton, là où les eaux du détroit intérieur baignent de nombreuses petites îles et où les fortes marées contribuent à charrier les nutriments dans toute la colonne d’eau. Nous avons vu un petit rorqual, une otarie de Steller, au moins cinq rorquals à bosse, des centaines de Phalaropes à bec étroit qui se nourrissaient à la surface de l’eau, quatre espèces d’Alcidés (plus d’une centaine de Macareux rhinocéros, de Guillemots marmettes, de Guillemots marbrés et de Guillemots colombins), et plusieurs autres espèces d’oiseaux.

Vous pouvez voir un rapport de sortie eBird pour ce relevé ici: https://ebird.org/canada/tripreport/5840.

L’observation peut-être la plus intéressante faite pendant les relevés était la présence accrue du Puffin à bec grêle en 2021 (il y avait de 2000 à 14000 individus dans le détroit selon les estimations), alors que l’espèce y était quasi absente en 2020. À partir du milieu de l’été 2021, des ornithologues amateurs positionnés du côté est de l’île de Vancouver – en bateau et même depuis la côte – ont commencé à signaler l’espèce en grand nombre. Cette tendance s’est poursuivie jusqu’au début de l’automne, avec des signalements de Puffins à bec grêle provenant de toutes les eaux baignant la Colombie-Britannique et d’autres parties du Pacifique. Cette espèce est connue pour se reproduire sur des îles proches des côtes sud et est de l’Australie. En dehors de la période de nidification, elle erre largement dans l’océan Pacifique, passant généralement l’été de l’hémisphère nord dans la mer de Béring. Historiquement, de petits nombres transitaient le long de la côte ouest de l’Amérique du Nord, mais l’ampleur de l’événement de 2021 est sans précédent.

Observations du Puffin à bec grêle, 2000 -2020 (gauche) et 2021 (droite)  Source: ebird.ca
Puffins à bec grêle Photo: Yousif Attia

Une des équipes qui ont réalisé les relevés en 2021. De gauche à droite: Kai, Yousif, Mark, Tony et Karissa. Photo: Yousif Attia

Notes de terrain de Yousif

Au moment où nous terminions un transect près de la côte dans l’extrême nord de la zone d’étude, nous avons aperçu une grande bande d’oiseaux de rivage atterrir sur un rocher près de l’île Screen. En nous approchant, nous avons constaté qu’il s’agissait d’un groupe nombreux de Bécasseaux du ressac et de Tournepierres noirs qui se nourrissaient voracement de balanes et d’autres invertébrés exposés à marée basse. La chose la plus intéressante était que les oiseaux ne semblaient pas du tout préoccupés par notre présence. Selon nous, cela s’explique par une combinaison de plusieurs choses. D’abord, ils semblaient extrêmement affamés, peut-être à la suite d’un long vol depuis la côte, et étaient donc trop affairés à se nourrir pour se soucier de nous. Deuxièmement, beaucoup d’individus, si ce n’est la plupart, n’avaient jamais vu d’humains ni de véhicules motorisés, étant donné que leurs sites de reproduction sont très éloignés dans la toundra arctique, et qu’ils n’avaient peut-être jamais vu d’humains présenter un quelconque danger. Flotter dans le bateau à portée de main de ces oiseaux totalement imperturbables a été une expérience que je n’oublierai pas de sitôt.

Vous pouvez voir un rapport de sortie eBird pour ce relevé ici: https://ebird.org/canada/tripreport/5107, ainsi qu’une courte vidéo ici:

Heureusement que l’irruption de Puffins à bec grêle en 2021 a été enregistrée lors des relevés; elle aurait pu facilement être manquée! Cela nous rappelle que les naturalistes qui communiquent sur une base régulière les données qu’ils récoltent dans le cadre de programmes de science participative comme eBird jouent un rôle important en nous renseignant sur l’évolution de la répartition des espèces d’oiseaux au fil du temps. Ces données peuvent fournir de l’information sur les profils à grande échelle qui sont utilisés pour nous aider à connaître les incidences des changements climatiques et les initiatives de conservation. Il sera intéressant de voir combien de Puffins à bec grêle passeront par le détroit de la Reine-Charlotte et le long de la côte ouest dans les années à venir. Espérons que nous serons en mesure d’en apprendre davantage sur ce qui est jusqu’à présent un événement inexplicable!

Vous pourrez en apprendre davantage sur les résultats de la première campagne de relevés, menée en 2020, en lisant le rapport détaillé (en anglais). Et l’analyse des résultats réalisée par Tony Gaston nous parviendra dans les prochaines années.

Bécasseau du ressac Photo: Yousif Attia

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